Vieillir : un processus vital

Il est fréquent d’associer la vieillesse à la mort ; bien sûr, nous n’avons jamais été aussi près de celle-ci à ce moment présent, mais ce n’est pas une raison pour faire cet amalgame. La mort n’a jamais été le contraire de la vie. Le contraire de la mort, c’est la naissance. Il suffit de porter son regard sur la nature pour le comprendre. Ce qui laisse toute place dans le « vieillir à la vie » sous tous ses aspects. Signalons que le mot vieillesse commence par vie.

Considérer la vie, c’est considérer la vieillesse au cœur  avec ses difficultés et avec ses joies. Tous les âges sont respectables. Tous les êtres humains sont fondamentalement frères, mais cela n’est pas forcément visible : les idéologies, les dogmatismes y mettent un frein… souvent au nom de la vérité détenue !!! Faisons vivre Ahimsa, la bienveillance. : Quand le « je » se reconnaît dans l’Autre, il peut  lui procurer de l’aide : je suis lui, l’autre est un frère.

Citons cette parabole du Tibet : « J’ai regardé au loin, j’ai vu quelque chose qui bougeait, je me suis approché, j’ai vu un animal, je me suis encore rapproché, j’ai vu un être humain, je me suis encore approché, Et j’ai vu que c’était mon frère ».

Le Yoga est adaptation 

Le yoga est adaptation, car la vie est adaptation. Il n’y a pas un yoga pour tous, mais un yoga pour chacun. Si nous rencontrons la qualité de la posture avec l’adaptation, nous saurons la reproduire en trouvant des moyens adéquats afin de la vivre ou d’aller « vers elle » en toute humilité. Partant de là, toute personne peut prétendre pratiquer à partir de ses propres possibilités. Il n’y a aucune raison d’arrêter la pratique en fonction de l’âge ou de certaines déficiences.

C’est à la fois dans mes cours individuels et collectifs que l’expérience avec des personnes vieillissantes (octogénaires ou nonagénaires) ou atteintes de certaines pathologies (Parkinson, opérés du cœur) pratiquant avec  moi depuis des années, m’a incité à organiser un cours spécifique car je percevais que leur attente devenait différente et qu’il convenait d’y répondre.  Le Yoga ne devait pas être un obstacle au « Vieillir » (trop vieux, trop difficile donc  plus de yoga), mais au contraire, il se devait de rebondir en modifiant la pratique, en luttant contre la fonte musculaire, en favorisant l’approche méditative par une meilleure amplitude respiratoire et donc un travail en direction de la ceinture scapulaire… ouvrir la poitrine, ouvrir le cœur.

Fort de cette nouvelle pratique bien perçue par les participants, et compte tenu de ma pratique avec des personnes déficientes mentales et/ou intellectuelles, je me suis posé la question (l’heure de ma retraite d’éducateur spécialisé ayant sonnée) de  pratiquer en maison de retraite. J’ai alors proposé mes services dans 2 maisons de retraite dont celle de l’hôpital de Die et celle de mon village à Marignac en Diois.

Dans le même temps, j’ai connu une personne tétraplégique habitant près de Grenoble et ai commencé avec elle un travail sur la respiration, la circulation de l’énergie, le son et le chant sans oublier le massage kalari et certains exercices de visualisation avec le souffle. Également l’inversion du corps a été au cœur de la pratique pour libérer bassin et dos… de 40 années  de fauteuil. Cette expérience est riche de sens, de partage et je dirai même que c’est un bonheur de voir le feu ardent de la vie circuler chez cette personne devenue amie !!! A l’heure actuelle, nous continuons notre pratique, et j’ai comme perspective d’introduire le yoga dans un centre de rééducation à Valence.

Je ne m’attarderai pas sur le public « déficient mental » encore que l’expérience du yoga avec celle du  sport mériterait un développement  intéressant (ascension du Mont Blanc, désert tunisien et  pratique sportive pour réhabiliter le corps… et l’esprit).

Avant d’évoquer la pratique en maison de retraite, réaffirmons : « Tout être humain est capable de progrès et doit faire l’objet de respect ». Accepter le handicap, c’est accepter ce qui est tout simplement et nous placer dans l’ouverture du cœur.

Quatre axes vont guider la pratique : en maison de retraite

Les  mouvements : Pour éviter notamment le tassement vertébral, il est temps de refuser le constat qui consiste à dire que l’arthrose étant là, plus rien n’est possible. Nous avons vérifié ensemble que nous pouvions soulager et libérer la colonne par des mouvements spécifiques.

La respiration et le travail sur les énergies : ‘l’âge, la déficience ne signifient en aucun cas que l’on respire bien. Revenir dans la conscience du souffle est un élément déterminant pour apaiser le mental et pour lâcher prise. Suivant le principe : où va la conscience, va l’énergie, il est possible de faire circuler l’énergie dans différentes parties du corps, même si les membres ne peuvent bouger à cause d’une lésion médullaire par exemple.

Les  Mudras : Les exercices des mains vont s’avérer importants pour favoriser les mouvements et améliorer la respiration. Leur rigidité entrave la respiration. Avoir les doigts qui se referment, outre que cela puisse révéler un problème cardiaque ou d’ostéoporose, diminue l’inspiration et affecte les capacités respiratoires, celles-ci étant souvent liées aussi aux épaules qui se ferment. La  main reste un outil pour la préhension et favorise les gestes quotidiens : se laver, s’habiller, manger…Il s’agit de renforcer l’autonomie par des exercices libérant les doigts et les poignets et favorisant une meilleure circulation. Toucher l’autre, c’est toucher son être. Toucher, c’est connaître, c’est aussi émettre et recevoir. Il  y a une interaction entre celui qui touche et celui qui est touché, la communication se faisant dans les deux sens. « La peau est ce qu’il y a de plus profond dans l’homme » nous rappelle Paul Valéry. Toucher l’Autre, c’est toucher son être, ce qui nécessite présence et écoute.

Les sons et les voyelles chantées sans oublier le rire sont intégrés à la pratique.

Après avoir commencé la pratique par une prise de conscience du souffle, suivie de mouvement des bras permettant d’ouvrir la poitrine, de mouvements étirant la colonne lombaire, dorsale et cervicale, s’ensuit le travail des mains, des yeux, se terminant par un auto massage du visage et une petite chorégraphie avec des sons. De nombreuses possibilités existent pour maintenir et renforcer la musculature en tenant compte de la réalité des corps des personnes qui pratiquent.

Le besoin de reconnaissance, si important en maison de retraite, rejoint cette notion altruiste et de compassion qu’est en yoga la bienveillance (ahimsa).

 Exemple de Pratique :

Nous nous intériorisons en revenant dans la conscience du souffle. Nous vivons ce souffle d’abord sans bouger puis avec le mouvement des bras en 3 temps : dos des mains sur les cuisses, à l’inspiration plier les bras mains aux épaules, puis ouvrir les coudes, et enfin verticaliser les avant-bras et revenir à l’expiration.

Travaillons les épaules : rotation, expirer une fois les omoplates rapprochées, puis les relâcher.

Assis sur un tabouret, les bras relâchés, inspirer en élevant verticalement les bras qui s’étirent. Les talons se soulèvent au maximum (l’étirement est plus conséquent au niveau de l’axe vertébral). Retrouver avec l’expiration la position initiale.

Essayons de plaquer l’abdomen sur les cuisses et laissons partir les mains en massant les jambes pour étirer les lombaires.

Mouvement latéral : levons le bras gauche tandis que la main droite tient le tabouret entre les jambes et réalisons une arabesque (bras au-dessus de la tête). Retour tranquille sur l’expiration

Mouvement de rotation : commençons avec le bras droit bien étiré et en position horizontale et décrivons un mouvement circulaire ample en regardant sa main droite. A la fin du mouvement, la paume est vers le haut. Expiration tranquille en revenant.

Mouvement frontal : mains sur les genoux, paumes dirigées vers l’avant, lever les bras à l’horizontal en gardant l’extension des mains puis, sur l’inspiration, plier les coudes en les ramenant près du corps vers l’arrière pour ouvrir la poitrine et expirer en tendant les bras à l’horizontal en gardant les mains en extension

Mouvement des cervicales : relâchons la tête, menton vers sternum, puis faisons non de la tête, puis oui, avant de pratiquer des rotations douces.

Mouvement des doigts : tordre chaque doigt dans un sens et dans l’autre et, en même temps, les tirer en pinçant la dernière phalange pour enfin lâcher (comme si on enlevait le bouchon d’une bouteille… de clairette de Die). Travail très important pour revitaliser les mains et favoriser une meilleure irrigation.

Travail des poignets : doigts entrelacés, décrire un huit couché, d’autres exemples de mudras existent pour ce travail, par exemple le mudra de Ganesh que j’utilise souvent: (pour amener de la confiance en ouvrant les bronches et le cœur), placer les mains au niveau du cœur tout près de la poitrine, crocheter les mains, une paume vers l’avant et l’autre vers soi. Pendant l’expiration,  tirer fortement les mains comme pour les écarter, les muscles de bras et du thorax se tendent. Pendant l’inspiration, toutes les tensions se relâchent (6fois).

Travail d’extension des jambes : à l’inspiration lever la jambe en rapprochant les orteils du tibia et à l’expiration, pointer le pied et baisser la jambe en ramenant le pied au sol.

Ouvrir les hanches à l’inspiration et les refermer à l’expiration.

Étirer la colonne en levant les bras à l’inspiration et les redescendre à l’expiration (paumes retournées vers le haut.

Pour revenir dans la verticalité avec tonification des fessiers : debout (quand c’est possible) flexion légère des genoux et extension.

Debout, ou assis conscience du groupe et main dans la main, ouverture des bras et partage du son Om. Souvent précédé par le chant des voyelles et le rire.

Tous les mouvements à droite se font à gauche et cela au moins 3 fois (2x en dynamique et une x en statique.) Toute la séance est basée sur la respiration consciente.

Quels constats après 2 années de pratique :

 L’expérience du vieillir en maison de retraite n’est pas la même chose que vieillir à la maison : l’institution a un cadre qui peut s’avérer sécurisant, mais qui ne plaide pas toujours par un renforcement de l’autonomie dans les gestes du quotidien. On peut se laisser plus facilement aller et suivre le rythme imposé. L’animation dans ces structures est  souvent une bonne chose, car elles introduisent une rupture pour aller vers autre chose ; cependant suivant les personnes, se laisser animer n’est pas toujours évident.

En quoi l’activité yoga peut apporter des avantages dans la vie des personnes ?

Ce qui est un plus, c’est déjà la régularité (une fois par semaine) qui leur permet  (aux personnes les plus autonomes… qui ne sont pas nombreuses)  de se situer dans leur emploi du temps. Mais l’essentiel de cette régularité a des répercussions tant sur le plan physiologique que sur le plan affectif  (les 2 étant liés) :

Sur le plan physiologique : S’occuper de son corps même diminué n’est pas une mince affaire. Pour la plupart, ils sont volontaires pour bouger leur corps et favoriser l’étirement ; ceci est rendu d’autant possible que je pratique avec eux et que nous sommes en cercle. Il y a une bonne attention aux exercices respiratoires (placer la conscience sur leur souffle) et la compréhension d’une bonne expiration pour relâcher  est perçue en général.

Pour les mouvements mettant en action la colonne vertébrale, l’intérêt est grand : oui, il est possible d’améliorer certaines positions, d’évoluer sur  certains mouvements : J’ai constaté que pour lever un bras par exemple, des progrès ont pu se faire ; et l’intérêt de lever un bras correctement n’est pas sans conséquence sur l’ouverture de la poitrine donc sur la respiration. En cas de difficulté, il faut trouver les moyens adéquats pour aller vers et il y en a…

Et ce qui est important, c’est qu’ils vivent les mouvements et sont dans le présent en ressentant  leurs sensations. (conscience d’être en vie).

Sur le plan affectif, c’est merveilleux : une confiance réciproque s’installe, le côté ludique du son et du rire y sont pour quelque chose. Nous partageons, donc même si ce n’est pas permanent, une joie émane de ces personnes et quand il y a une interruption de la pratique pour vacances, ils marquent une attitude de regret.

Pourquoi le Yoga ?

Le yoga est un outil important pour harmoniser le corps et l’esprit. Le corps peut diminuer, mais il est toujours possible d’avoir un regard bienveillant sur ce dernier (l’entretenir)  tandis que l’esprit peut croître et saisir les avantages du grand âge (écoute, contemplation).

Cette pratique me confirme que tout progrès, fut-il infime est possible et que la vie est toujours présente, peut-être plus que l’on croit et que ce partage est résolument tourné vers un mieux-être qui est le fondement de cette pratique… qui s’avère thérapeutique, d’autant si elle repose sur l’ouverture du cœur.

Quel que soit notre choix,  ce que nous créons dans notre vie doit émaner du cœur. Notre amour est la source de toute énergie visant à créer et à relier.