Vieillesse et handicap
« Le seul, le vrai, l’unique voyage, c’est de changer de regard » (Marcel Proust)
La pratique du yoga sur chaise : Qu’en est-il ?
Depuis 5 ans, je développe cette pratique dans une maison de retraite hospitalière à Die et dans un foyer résidence basée sur ce principe : « Il n’y a pas un yoga pour tous, mais un yoga pour chacun ».
Le yoga est adaptation, car la vie est adaptation. A partir de là, toute personne peut prétendre pratiquer à partir de ses propres possibilités. Il n’y a aucune raison d’arrêter la pratique ou de la commencer en fonction de l’âge ou de certaines déficiences.
Le fait d’avoir été confronté par ma pratique professionnelle à différents types de handicaps m’a incité à mettre en place une séance spécifique sur chaise qui puisse intéresser différentes personnes ayant des pathologies parfois importantes (accidentés de la vie, Parkinson, accidents vasculaires cérébraux, opérés du cœur…) ou ayant un grand âge. Tout ceci en plus de mes cours traditionnels dont un s’adresse déjà à des personnes âgées ou à mobilité réduite, mais pouvant encore se placer sur un tapis de yoga.
Il s’agit de rester dans le mouvement de la vie avec cette séance où tous les éléments du yoga sont présents : concentration sur le souffle et intériorisation, mouvements et postures sachant que la spécificité d’une pathologie peut demander une aide, également le travail sur la voix et le rire.
La bienveillance, l’ouverture du cœur sont au centre de cette pratique.
Cette séance s’articule autour de 4 axes :
- Les mouvements :
Pour éviter notamment le tassement vertébral, il est temps de refuser le constat qui consiste à dire que l’arthrose étant là, plus rien n’est possible. Nous avons vérifié ensemble que nous pouvions, en conscience, soulager et libérer la colonne vertébrale par des mouvements spécifiques. Il s’agira aussi pour éviter l’ankylose, de s’adresser à nos articulations par des petits enchaînements répétés, et par des respirations conscientes visant à libérer des espaces que l’on pouvait croire à jamais fermés.
- La respiration et le travail sur les énergies :
La conscience du souffle va favoriser un mouvement de qualité. L’âge, la déficience ne signifient en aucun cas que l’on respire bien. Revenir dans la conscience du souffle est un élément déterminant pour favoriser la concentration, apaiser le mental et lâcher prise. Suivant le principe tantrique du hatha-yoga : « Où va la conscience, va l’énergie », il est possible de faire circuler l’énergie dans différentes parties du corps, même si certains membres ne peuvent bouger à cause d’une lésion médullaire par exemple. Dans un corps au repos, l’expiration doit être le double de l’inspiration et dans la symbolique respiratoire, nous pouvons dire que l’expiration permet de lâcher, c’est une petite ort alors que l’inspiration est un retour à la vie. Et nos peurs bien souvent nous invitent à inspirer trop rapidement sans avoir lâché suffisamment à l’expiration.
Respirer, c’est vivre : Durant la pratique, la respiration demeure un axe vital essentiel : durant tous les mouvements, il faudra tenter de les aborder avec le souffle ; cela sera plus facile une fois les mouvements mémorisés. Dans tous les exercices posturaux, notamment ceux des bras, la respiration est au cœur ; considérez que les bras sont les ailes de nos poumons, en les ouvrant, nous favorisons une meilleure inspiration. Lorsque nous abordons le travail abdominal, nous permettons à l’abdomen de s’assouplir : en effet, les abdomens durs et contractés bloquent la respiration, immobilisant le diaphragme ne lui permettant pas d’assurer sa fonction de mobilité ; ceci a pour conséquence une respiration courte et défectueuse, car l’oxygène n’arrive pas à irriguer correctement les poumons.
Le diaphragme est avec le cœur, un des muscles les plus puissants et les plus actifs du corps. Sa mobilité est liée à notre façon de respirer.
Nous devons nous ouvrir aux pouvoirs vivifiants de notre souffle pour favoriser l’élimination des tensions et les blocages. Pour ce faire, lorsque nous nous intériorisons, donner la primauté à l’expiration. Une bonne respiration commence non seulement par une expiration complète et lente, mais aussi que cette expiration parfaite est la condition d’une inspiration correcte et complète, pour la raison bien simple que l’on ne peut remplir un récipient que s’il a été préalablement vidé. Impossible de bien respirer si nous n’expirons pas d’abord à fond. La respiration normale commence par une expiration lente et paisible, réalisée par la relaxation des muscles inspiratoires.
Dans un corps au repos, l’expiration doit être le double de l’inspiration. Tout cela est favorisé dès que vous placez la conscience sur le souffle. Souffle et conscience sont intimement liés car tous deux résident ensemble dans le corps et le quittent ensemble.
- Le toucher et les mudras
Les exercices des mains vont s’avérer importants pour favoriser les mouvements et améliorer la respiration. Avoir les doigts qui se referment, outre que cela puisse révéler un problème cardiaque ou d’ostéoporose, diminue l’inspiration et affecte les capacités respiratoires, celles-ci étant souvent liées aussi aux épaules qui se ferment. La main reste un outil pour la préhension et favorise les gestes quotidiens : se laver, s’habiller, manger… Il s’agit de renforcer l’autonomie par des exercices libérant les doigts et les poignets, et bien sûr les bras pour une meilleure circulation sanguine et énergétique.
Toucher, c’est une mise en relation avec Soi-même et avec l’Autre. Toucher l’Autre, c’est toucher son être. Toucher, c’est connaître, c’est aussi émettre et recevoir. Il y a une interaction entre celui qui touche et celui qui est touché, la communication se faisant dans les deux sens. « La peau est ce qu’il y a de plus profond dans l’homme » nous rappelle Paul Valéry. Ce toucher implique présence et écoute. Nous sommes des êtres de relation. Ce toucher manque souvent et cela peut-être dramatique, car du toucher vient la reconnaissance et la compassion. Si nous sommes dans la compassion, nous pouvons aider par exemple à favoriser la levée d’un bras chez une personne dont la rétraction musculaire est importante.
Cette compassion (qui n’est pas souffrir avec, mais comprendre la souffrance de l’autre) est au service de la relation entre deux êtres. Et l’exemple suivant va l’illustrer : André avait 97 ans et était en fin de vie comme me l’avait précisé le médecin gériatre. Il appréciait les cours de yoga sur chaise et ce, depuis 3 ans ; à un moment donné, il ne pouvait plus venir ; alors que me suis rendu dans sa chambre ; il avait du mal à respirer : je suis resté près de lui en prenant son poignet. Entre cinq et dix minutes plus tard, il se tournait vers moi en esquissant un sourire, puis il émit le son « Om ». Trois heures plus tard, il quittait le plan de la manifestation. Cet au revoir avec le Om m’a beaucoup ému car en fait André partait de la vie en pleine conscience, franchissant ainsi l’autre rive…
Dans le toucher, intervient aussi le plaisir dans la pratique, plaisir et douceur de s’auto-masser le visage, ses membres, son abdomen… ou de se faire masser quand c’est possible. Avec nos mains, nous pouvons faire du bien.
Les mudras : L’origine des mudras remonte à la nuit des temps. Il en existe dans le monde entier et pas seulement en Orient. Le « mudra » est une notion qui recouvre une multitude de sens. Il peut désigner un geste, une posture mystique des mains, un sceau ou encore un symbole. Il existe aussi des mouvements d’yeux, des attitudes corporelles et des techniques respiratoires qui sont appelés mudras. Ces postures symboliques des doigts, des yeux ou du corps permettent de représenter d’une manière imagée certains processus ou états de conscience. Inversement, il est possible, en adoptant certaines attitudes, de parvenir aux états de conscience qu’elles symbolisent.
Les mudras s’adressent donc à des régions précises de notre cerveau et de notre psychisme, et exercent une influence en conséquence. Nous pratiquerons surtout les mudras avec les mains. La séance proposée va s’attarder sur les mains ; signalons la place importante qu’occupent nos mains dans notre cerveau (cf l’homonculus de Penfield). Nous sommes loin d’avoir tout découvert sur le corps, et avons en nous, bien certainement, des forces de guérison insoupçonnées. En yoga, l’expérience est prééminente sur tout.
- Le travail sur la Voix :
Les sons et les voyelles chantées, les exercices tonifiant poumons et cœur, sans oublier le rire constituent un volet important de la séance. Les sons en général et les mantras chantés (kirtans) aident à guérir et calmer les émotions et à ouvrir le cœur. Ils stimulent, activent, motivent et font rajeunir. Ils nous aident à danser ou dormir, à rire ou pleurer, à méditer. Ils transforment des tâches ennuyeuses en autant d’occasion de plaisirs joyeux.
La pensée et la voix sont portées par le souffle. Si je peux parler, c’est grâce au souffle qui porte ma voix. « Mon souffle permet la communication. L’air qui m’environne est mon élément de vie, grâce à ma respiration et ma voix, je suis en communication constante avec l’univers » Les mantras et kirtans utilisent le plus beau des instruments de musique : la voie humaine, qui emplit de son chant, le temple qu’est le corps..
« Car chez nous, le chant est remède, le chant est lumière, le chant est vérité, pure respiration, du vrai dans le vrai, de l’esprit dans l’esprit, du cœur dans le cœur » (Christian Bobin)
Les résultats de la pratique en maison s’étant révélés bénéfiques et prometteurs, en liaison avec une association venant en aide aux personnes vieillissantes et/ou en situation de handicap, j’ai proposé, en liaison avec une association s’occupant du bien-être des personnes âgées au CLIC du conseil général de la Drôme, des journées d’initiation pour favoriser la transmission de cette pratique sur le thème : « Changer le regard sur la vieillesse et du handicap par la pratique du yoga sur chaise ».Après accord, ces journées d’initiation purent se mettre en place avec comme participants des soignants, des aidants familiaux, des animatrices de clubs du 3ème âge, des pratiquants et des enseignants de yoga.(cf. témoignages)
Cette initiation a permis aux participants de découvrir cette pratique et d’en percevoir les bienfaits. Un bilan avec la commission gérontologie a permis de mettre en place une autre perspective pour que perdure cette pratique : celle d’intervenir dans 5 villages du Diois dès février 2014. Ce choix permit à des participants d’être les moteurs pour mobiliser, sensibiliser les « anciens » ou les personnes en situation de handicap de leurs villages afin de mettre en place cette pratique. Cette pratique tournée vers l’ouverture du cœur doit permettre de créer du lien, briser un certain isolement et de continuer à vivre chez soi.
Actuellement, le conseil général finance cette pratique jusqu’en juin, ensuite, ce sera à la nouvelle association de yoga récemment créée « Surya » de prendre le relais et de continuer la pratique sur chaise animée par un enseignant de yoga formé à cette pratique.
Depuis 4 ans, j’interviens sous forme de journées ou week-ends pour transmettre à la demande d’associations de yoga, ou associations s’occupant du 3ème âge ou de la maladie d’Alzheimer ou encore de fédérations (Rennes, Grenoble, Lyon, Paris et bien sûr en Drôme).
Un film et un livre sont disponibles.
A l’occasion des différentes rencontres, des demandes de professeurs de yoga ou en voie de l’être, m’ont incité à organiser une formation spécifique qui ont lieu deux ou trois fois à Grimone, petit village à 1100m d’altitude sur les contreforts du Vercors.